Ave vita, morituri te salutant

21:02


"Le lendemain, personne ne mourut. Ce fait, totalement contraire aux règles de la vie, causa dans les esprits un trouble considérable, à tous égards justifiés [...]. Jusqu'à minuit très exactement du dernier jour de l'année, des gens acceptèrent encore de mourir dans le plus fidèle respect des règles, tant celles se rapportant au fond de la question, c'est-à-dire à la fin de la vie, que celles concernant les multiples modalités que revêt habituellement le fameux fond de la question avec plus ou moins de pompe et de solennité quand survient le moment fatal."

C'est ainsi que débutent Les intermittences de la mort, de José Saramago. 


Un jour, dans un pays indéfinissable, personne ne meurt. Le grand fantasme de l'humanité se trouve enfin concrétisé. On pourrait s'attendre à une succession d'explosions de joie, et le récits de vies consacrées au plaisir sans fin. Mais non. Car, si l'on ne meurt plus, l'on continue de vieillir, de se blesser, d'être malade, agonisant, moribond. Et c'est alors que tout s'effrite. 

D'abord l’Église (plus largement, l'ensemble des religions).
"Sans mort, il n'y a pas de résurrection, et sans résurrection il n'y a pas d'église".

Puis les entrepreneurs de pompes funèbres font faillite, les maisons de retraite débordent de résidents, les assurances vie ne sont plus d'aucune utilité...
José Saramago décrit minutieusement et avec un regard acerbe plein d'humour, une société qui doit faire face à un chambardement des plus conséquents. Où les plus incroyables solutions vont voir le jour, où chacun va révéler son pire côté. Ainsi, la maphia vient contractuellement aider l’État à "évacuer" les moribonds de l’autre côté de la frontière. Puis, organise le rapatriement des dépouilles.
Et l’État. Qui tente de sauver les meubles. 
Mais que faire face à la perspective d'une population toujours plus nombreuse, toujours plus âgées, où la bave au menton et l’incontinence deviendront la règle.

"...si nous ne recommençons pas à mourir, nous n'aurons pas d'avenir."

Je ne dévoilerai pas davantage l'intrigue de ce roman. Il faut tout de même savoir que le style de José Saramago est assez particulier : des phrases interminables, des dialogues sans point, sans retour à la ligne, où seules les majuscules indiquent le changement de locuteur. La première fois que j'ai lu ce roman, cela m'a déroutée, et je suis presque passée à côté de la force du récit. Finalement, je l'ai relu il y a peu. Cette fois, j'ai davantage été maîtresse des choses car l'absence de ponctuation, de structuration du récit permet en fait d'imprimer son propre rythme. J'ai dû restreindre ma tendance habituelle à dévorer les livres, à les lire en déséquilibre perpétuel. Et le livre s'est alors totalement révélé.


Une grosse première moitié de l'histoire est consacrée aux conséquences de cette grève de la mort.
La seconde révèle ce personnage central, et nous fait rentrer dans l'intimité de la mort. J'ai une préférence pour cette partie. Qui, dans le désordre, nous permet de surprendre les dialogues de la mort avec sa faux, de connaître ses petites habitudes.

"Nous apprenons ainsi que, contrairement à ce que tant de gens pensaient, la mort ne porte pas ses lettres à la poste."


Et même de la réconforter quand le sort s'acharne contre elle. Car, alors qu'elle a décidé de reprendre ses activités et d'ôter de nouveau leur vie aux humains, l'un d'entre eux va échapper à cette règle immuable et résister à la mort. Va alors commencer un magnifique pas de deux, la mort se rapprochant toujours plus de (son) l'humanité afin de comprendre cet homme musicien qui, contre toute logique, continue de vivre.


"Toi, qui t'étais habituée à pouvoir ce que personne d'autre ne peut, tu te voyais soudain impuissante, pieds et poings liés, avec ton autorisation de tuer numéro zéro zéro sept sans validité dans cette maison, jamais depuis que tu es la mort, reconnais-le, jamais tu n'avais subi pareille humiliation."


La mort est bien le personnage central, mais c'est la vie qui est le cœur vibrant de ce roman. Une vie qui parvient à passer entre les doigts de la mort grâce à ses petits moments de plaisir et de grâce.


N'aie pas peur des phrases sans fin, ce livre est une vraie réjouissance !


Pour rester dans la thématique, un plat qui réveille les papilles, où j'ai laissé parler mon envie du moment.




Risotto saumon et wasabi




Pour 3 personnes


225 g de riz Arborio
75 cl de bouillon dashi
100 g de saumon fumé
1 échalote
1 petit verre de vin blanc sec
2 cs d'huile d'olive
2 cs de crème semi-épaisse
2 cc de wasabi


Faire le bouillon de dashi en diluant un demi-sachet de dashi (environ 3 g) en poudre dans 75 cl d'eau. A défaut de dashi, j'utilise aussi du fumet de poisson en poudre. Le maintenir au chaud.
Peler et émincer l'échalote.
faire chauffer un peu d'huile d'olive dans une poêle et faire blondir l'échalote.
Incorporer le riz à feu vif, et mélanger 2 minutes avec une cuillère en bois. Quand il est translucide, mouiller avec le vin. Laisser évaporer complètement en remuant, puis verser une louche de bouillon très chaud.
Poursuivre la cuisson à feu moyen, verser le bouillon au fur et à mesure qu'il est presque absorbé en remuant souvent.
Quand il ne reste qu'une louche de bouillon, ajouter le saumon coupé en petits morceaux. Puis la dernière louche.
Dans un bol, mélanger la crème et le wasabi (à doser suivant son goût et la force du wasabi utilisé).
Quand tout est absorbé, éteindre le feu et ajouter la crème au wasabi. Mélanger rapidement et laisser reposer 2 minutes à couvert.
Servir bien chaud.






En savourant du Chopin, tout comme la mort.


You Might Also Like

11 commentaires

  1. Superbe ton risotto, mais faut pas que ton bouquin te file le bourdon hein!

    RépondreSupprimer
  2. moi la morte je l'ai lue avec "la voleuse de livre", une manière de la découvrir encore par d'autres yeux que les siens finalement...

    moi qui aime tant le saumon tu me donnes très envie là

    RépondreSupprimer
  3. Je n'ai jamais lu saramago (je dois avouer que ce genre de ponctuation, ou plutôt d'absence de ponctuation, ne m'attire pas de prime abord...) mais j'adore Chopin...il me berce quasiment tous les soirs en ce moment.
    Et puis ton risotto à la nippone me plaît beaucoup...je suis sure que c'est délicieux...
    A bientôt

    RépondreSupprimer
  4. Gen : oh non, il est loin de donner le bourdon. C'est juste un peu étrange au début. Mais pas du tout morbide.

    Lune : rapide découverte de ce roman (merci Wikipédia) et il a l'air très tentant. Je le garde en tête pour une prochaine lecture, merci !

    Chris : me laisser porter vers le sommeil par Chopin, c'est aussi un petit plaisir que je savoure régulièrement. :)

    RépondreSupprimer
  5. J'aime beaucoup les versions asiatiques du risotto. Bravo!

    RépondreSupprimer
  6. Citron : le risotto est un vrai caméléon, on peut lui faire subir toutes ses envies. Et moi, j'aime particulièrement l'orientaliser. :)

    RépondreSupprimer
  7. Cette étude déborde de vie en tuant les doigts ! Très beau choix :) Pour le roman comme pour le risotto, tu sais comment nous donner envie. Bravo.

    RépondreSupprimer
  8. Tiens, je n'aurais jamais mis de crème dans un risotto... j'imagine que c'est juste pour délayer le wasabi que c'est nécessaire, j'aurais pour ma part opté pour du soja à cuisiner, mais j'essaierai.

    RépondreSupprimer
  9. BiÔna : c'est même à la limite de l'humain cette affaire ! Quant au roman, il n'est pas facile à présenter rapidement, tant mieux si un petit bout de mon enthousiasme a pu passer. :)

    Maxine : c'est vrai, généralement c'est beurre+parmesan. Mais avec le wasabi, bof. La crème permet de bien lier le risotto et d'adoucir un peu le wasabi. Pour le soja cuisine, aucun problème, il faut juste qu'il ne soit pas trop liquide.

    RépondreSupprimer
  10. Ca faisait un moment que je ne trouvais malheureusement pas le temps de lire ton blog. Il est toujours bien reussi. + J'ai trouve tres sympha l'idee de poster de la musique ;).

    RépondreSupprimer

Subscribe